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Marc Pasteger raconte…
6 janvier 2008

Les bûches et le fantôme

Depuis de longues années, j'ai une passion : raconter des histoires vraies ! Je l'assouvis notamment en publiant des livres. Le dernier en date, "Folles histoires à boire et à manger" (Jourdan Editeur) est sorti fin novembre 2007, juste avant les fêtes. Et comme nous sommes toujours un peu dans cette ambiance, je vous offre un premier extrait consacré à un réveillon très particulier... Avec les compliments d’Oliver Franklin Marshall n’a peur de rien, ni de personne. À cinquante-sept ans, sa réputation d’avocat intrépide et incorruptible n’est plus à faire à Londres où son cabinet ne désemplit pas. Lorsqu’il ne travaille pas, Maître Marshall aime fréquenter son club où ses conversations sont toujours appréciées. Il y retrouve de nombreux amis parmi lesquels figurent notamment quelques confrères. Du haut de son mètre soixante-dix-neuf et avec sa voix de stentor, Franklin Marshall domine souvent les discussions. En ce début du mois de novembre 1964, il y est souvent question d’un manoir que Bryan Walder, homme d’affaires prospère et membre de la brillante assemblée, possède depuis quelques années dans la campagne à une centaine de kilomètres de la capitale. Il s’agit d’une vieille demeure datant du dix-huitième siècle et ne manquant pas d’allure. Elle est entourée d’un parc d’environ vingt mille mètres carrés et ne compte aucun voisin immédiat. Bryan Walder l’a acquise un jour en se baladant. Rentrant d’un week-end champêtre, il est passé devant la propriété, a vu la pancarte “À vendre” et, dès le lendemain, s’est rendu chez le notaire chargé du dossier en vue de l’acheter. Pris par de multiples activités et voyageant beaucoup, Walder n’a guère eu l’occasion de s’occuper de ce bien. Il y a séjourné à quelques reprises seulement et n’en est jamais revenu emballé. Au fil de ses déplacements, il a fini par avouer à ses copains: – Vous allez peut-être vous moquer de moi, mais je crois que cette maison est hantée... Les autres ont évidemment posé des tas de questions et certains n’ont effectivement pas manqué de brocarder Bryan Walder dont les explications pouvaient se résumer de la sorte : – À chacune de mes visites, j’ai eu droit à des manifestations bizarres. Mon épouse m’accompagnant, j’ai un témoin. Un soir, nous avons entendu des craquements bizarres et répétés dans les escaliers. Ensuite, nous avons clairement perçu des pas dans le grenier. Nous sommes montés et avons inspecté la pièce dont la porte était fermée à clef de l’extérieur. Deux mois plus tard, la fenêtre de notre chambre s’est ouverte brutalement en pleine nuit... S’étant lié d’amitié avec le fermier du coin, Bryan Walder a reçu quelques confidences qu’il a jugées éclairantes : – Il paraît que, dans la région, on sait que cette bicoque est habitée par un fantôme ! Il a même un prénom : Oliver. Il y a très longtemps, Oliver était un pauvre bougre amoureux de la femme du maître des lieux. Il avait bien déclaré sa flamme à diverses reprises à la belle, mais celle-ci ne voulant rien entendre, il la prévint : “À cause de vous, je vais me suicider, mais ne croyez pas pour autant être débarrassée de moi ! Je reviendrai ici même et tant que vous ne m’aurez pas dit “je t’aime”, je ne partirai plus ! Plus jamais !” Et, le lendemain, il s’était ouvert les veines... On raconte qu’Oliver à l’état de spectre n’a pas tardé à rôder chez celle qu’il adorait et qui mourut bien des années après lui sans avoir prononcé les mots tant désirés. Moyennant quoi, aujourd’hui encore, Oliver attend... Celui que ce récit a le plus fait rire, ce fut sans conteste Franklin Marshall ! – Mon cher Bryan, comment un grand garçon comme vous peut-il avaler pareilles sornettes ? Des planchers qui craquent, des portes et des fenêtres qui grincent, qui s’ouvrent et claquent dans un amas de vieilles pierres du dix-huitième, quoi de plus normal ? Que les villageois aient fabriqué une légende afin d’animer les longues soirées d’hiver, soit ! Mais que vous, un homme érudit et éclairé, accordiez du crédit à ces fadaises me surprend énormément ! Autour de Bryan et de Franklin, les avis ne sont pas unanimes. Quelques messieurs pas sots refusent de ricaner. D’aucuns finissent même par admettre : – Nous, les histoires de fantômes, nous sommes prêts à les prendre au sérieux ! Marshall hausse les épaules d’un air agacé. Athée, il refuse de concevoir que, après la mort, il reste autre chose de l’être humain qu’un squelette enfoui dans la terre. – Tout le reste n’est que foutaise !, clame-t-il haut et fort. Mais se rendant compte qu’il n’emporte pas l’adhésion, il propose : – Je suis candidat pour me rendre sur place afin de constater la plaisanterie ! Pourquoi ne pas y aller à plusieurs ? Et il enchaîne : – Que faites-vous au réveillon de Noël ? L’idée séduit. En tout cas, Bryan Walder la trouve originale et l’accepte. Marshall jubile : – Je me chargerai de la bûche ! J’apporterai la meilleure de Londres, celle de mon cousin Edgar ! Le 24 décembre en fin d’après-midi, ce sont six personnes qui entrent dans le manoir. Il y a là trois couples : Bryan et Meg Walder, Franklin et Diana Marshall, Joyce et Alban Merling. Pendant que les épouses préparent le repas, Walder constate : – Avouez que cet endroit ne manque pas de charme ! Il n’est pas exclu que nous ayons de la neige dans la nuit ! Le tableau serait idyllique ! Puis, se reprenant : – Si, bien entendu, nous ne subissons aucune visite intempestive... Marshall saisit la balle au bond : – Moi, j’espère que nous en aurons une ! J’attends le Père Noël avec la plus grande impatience ! J’ai été particulièrement sage cette année et je me réjouis de voir s’il aura le cadeau que je lui ai commandé ! Les autres rient puis, les femmes ayant achevé leurs tâches culinaires, ils gagnent leurs chambres où ils se changent en vue du réveillon. Vers 20 heures, les six amis se retrouvent au salon où Walder ouvre la première bouteille de champagne. Meg a amené de Londres quelques décorations, dont un petit sapin au pied duquel les traditionnels paquets enrubannés ont été déposés. Les heures s’égrènent le plus agréablement du monde et sans le moindre incident. Aux alentours de minuit, au moment du dessert, Franklin appelle l’attention sur les succulentes bûches qui vont être dégustées. – Très subjectivement, ce sont les meilleures ! Et les autres applaudissent lorsque Maître Marshall allume les bougies disposées sur les deux bûches du cousin Edgar. À l’instant même où Diana s’apprête à couper la première tranche, un coup de vent violent ouvre brutalement la fenêtre faisant face à la table. Les bougies s’éteignent. Ainsi que l’électricité. Les femmes poussent des cris. – Du calme !, hurle Marshall. Et la lumière revient. Walder en profite pour fermer la fenêtre. Mais, immédiatement, c’est la porte d’entrée du salon et celle communiquant avec le couloir menant à la cuisine qui se mettent à claquer ! On dirait que, du premier étage, quelqu’un approche. Chaque convive jurerait sentir en tout cas la présence d’une septième personne ! La tension est palpable. Le silence le plus total est revenu. Puis, subitement, un éclat de rire strident retentit et les trois couples voient la nappe tirée, comme par une main invisible, à l’extrémité gauche de la table! Lorsque la première bûche tombe sur le sol, le rire se fait plus insupportable encore. Et quand vient le tour de la seconde qui dégringole en même temps que plusieurs verres, une sorte de coup de poing est donné dans la principale fenêtre de la salle à manger. La vitre vole en éclats pendant que la flamme de la seule bougie encore allumée lèche le bas d’un rideau. En une poignée de secondes, le feu part dans toutes les directions. Au manoir, c’est la panique ! Walder, seul, ne perd pas son sang-froid. Au péril de sa vie, il remplit des récipients d’eau et finit par éteindre l’incendie. Les autres ont fui dans le parc. Assis dans l’herbe gelée, Franklin Marshall a le regard hagard. Pendant une petite heure encore, il ne dira pas un mot. Il s’était enfin trouvé quelqu’un pour lui clouer le bec. Quelqu’un dont on ne connaissait que le prénom : Oliver. Copyright Marc Pasteger et Jourdan Editeur
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